Chronique juridique du 18 janvier 2021

Précisions sur l’articulation du droit de l’environnement et du droit de l’urbanisme

Conseil d’Etat, 30 décembre 2020, Koenigshoffen Demain

Le 3 novembre 2015, le maire de Strasbourg délivre un permis de construire à la société Franck Immobilier concernant sept bâtiments dans le quartier de Koenigshoffen. L’association Koenigshoffen Demain introduit immédiatement un recours gracieux, rejeté en janvier 2016, et suivi d’un recours en excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Strasbourg. Les juges du fond rejettent cependant sa requête le 5 octobre 2017. L’association forme alors un pourvoi devant le Conseil d’Etat, qui annule le jugement et renvoie l’affaire au Tribunal administratif de Strasbourg. Finalement, par un nouveau jugement du 15 mai 2019, le tribunal rejette à nouveau la requête de l’association. Un nouveau pourvoi est donc logiquement formé.

Cet arrêt n’est pas novateur mais illustre parfaitement l’articulation du droit de l’urbanisme avec le droit de l’environnement (I) et avec le droit administratif général (II).

I. Des précisions sur l’articulation entre droit de l’urbanisme et droit de l’environnement

Le demandeur invoque à l’appui de ses prétentions de nombreux moyens. Parmi eux, la violation de l’article L. 424-4 du Code de l’urbanisme et de l’article R. 122-2 du Code de l’environnement qui prévoient que lorsqu’un projet autorisé par un permis de construire est soumis à une étude d’impact, ce permis doit être assorti de dispositions imposant au demandeur des « mesures appropriées et suffisantes pour assurer le respect du principe de prévention ».

Sur le fondement des articles 1 et 2 de la Charte de l’environnement, il résulte du principe de précaution que chacun est tenu à une obligation de vigilance à l’égard des atteintes à l’environnement qui pourraient résulter de son activité. Jean-Marc Pastor[1] rappelle que notamment depuis l’arrêt Commune de Villiers-le-Bâcle, le contexte juridique est « favorable à un contrôle environnemental poussé » : le juge va examiner en détail les différentes études d’impact mais aussi le respect du principe de prévention et des mesures dites « ERC » (éviter, réduire et compenser).

Il peut paraitre surprenant d’appliquer des dispositions du Code de l’environnement à un permis de construire relevant du droit de l’urbanisme, au regard du principe d’indépendance des législations affirmé par l’arrêt Piard de 1959 : en l’espèce, le tribunal administratif avait d’ailleurs estimé que cela n’était pas possible. Le Conseil d’Etat clarifie la situation en affirmant qu’au contraire, il s’agit ici d’une dérogation au principe d’indépendance des législations. Cette décision s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel naissant, qui admet de plus en plus l’opposabilité de dispositions protectrices de l’environnement aux autorisations d’urbanisme[2]

Le Conseil d’Etat annule donc le jugement du Tribunal administratif, et évoque l’affaire. Il va pour ce faire examiner la régularité de la procédure et de la composition du dossier : alors que l’association soutenait que le constructeur devait demander une autorisation particulière relevant du droit des installations classées pour la protection de l’environnement, le Conseil d’Etat estime au contraire que le projet n’entre pas dans la catégorie des ICPE.

La police des ICPE est une police spéciale permettant d’encadrer les principales activités susceptibles de nuire à l’environnement. Elle vise notamment les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, plus généralement, les installations qui peuvent présenter des dangers pour la commodité du voisinage, pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques, pour l’agriculture, pour la protection de la nature[3]. En l’espèce, les juges vont examiner en détail l’étude d’impact qui a été menée sur le projet, pour finalement estimer que rien ne montrait qu’elle aurait été insuffisante.

II. Une illustration de l’articulation entre droit de l’urbanisme et droit administratif général

Concernant le droit de l’urbanisme, le Conseil d’Etat va contrôler la légalité du plan d’occupation des sols (POS) puisque l’association invoquait par voie d’exception l’illégalité d’une délibération datant de 2010 de la commune modifiant ce plan. L’association soutenait qu’une simple modification n’était pas possible, et que la commune aurait dû adopter un nouveau POS pour remplacer l’ancien. Le Conseil d’Etat rejette ce moyen en affirmant que puisque les modifications apportées « ne portent pas atteinte à l’économie générale du POS », la simple voie de la modification pouvait être légalement empruntée.

Plus encore, le juge administratif rappelle l’existence de l’article 600-1 du Code de l’urbanisme qui interdit aux requérants d’invoquer par voie d’exception l’illégalité d’un document d’urbanisme plus de six mois après son entrée en vigueur. Cet article ne fait pas obstacle au droit de tout administré de demander l’abrogation d’un document d’urbanisme qu’il estime illégal, et de former un REP contre une décision de refus de l’abroger. En somme, le raisonnement tenu ici par le juge illustre parfaitement le caractère plus favorable du droit de l’urbanisme par rapport au droit administratif général : en effet, depuis la jurisprudence CFDT Finances du 18 mai 2018, le requérant ne peut plus invoquer les vices de forme et de procédure d’un acte réglementaire par voie d’exception. Alors que le droit de l’urbanisme limite simplement leur invocabilité à 6 mois, le droit commun ne permet pas l’invocabilité.

Toujours concernant le POS, le Conseil d’Etat rappelle également les termes de l’article L. 600-12-1 qui vise à briser les chaînes d’illégalités en droit de l’urbanisme : ainsi, lorsqu’un document d’urbanisme est déclaré illégal, il va en pratique survivre pour les autorisations délivrées sur son fondement. Il existe une seule exception, lorsqu’un des motifs d’illégalité du document d’urbanisme est en rapport direct avec les règles applicables à l’autorisation d’urbanisme. Or, l’association invoquait un vice de légalité externe : il ne s’agit pas en l’espèce, selon le Conseil d’Etat, d’une règle de nature à exercer une influence directe sur des règles applicables au permis contesté.

C’est pourquoi le Conseil d’Etat rejette au fond la requête de l’association.

Constance NIEL

Étudiante au sein du Master 2 Droit public approfondi,

Université Paris II Panthéon-Assas


[1] J-M. PASTOR, « Les permis de construire sous contrôle environnemental », AJDA, 2021

[2] Pour une illustration concernant le principe de précaution, voir l’arrêt Association du quartier Les-Hauts-de-Choiseul c. Commune d’Amboise rendu le 19 juillet 2010

[3] Toutes les installations visées sont énumérées dans la nomenclature des installations classées établie par décret en Conseil d’Etat, selon les prescriptions de l’article L. 511-2 du Code de l’environnement.