Chronique juridique du 1er décembre 2020
Chronique de presse générale – Droit constitutionnel
Article analysé : M. Darame, A. Mestreet et S. Zappi, « L’impossible débat dans la gestion de la crise », Le Monde du 24 octobre 2020
Quel rôle pour le Parlement en ces temps de crise ? Le 24 octobre 2020 les députés ont voté, pour la cinquième fois en sept mois, un projet de loi instituant des mesures exceptionnelles pour faire face à la crise sanitaire du coronavirus. Les sénateurs se sont eux prononcés les 28 et 29 octobre derniers.
Dans ce contexte d’exception un sentiment d’impuissance face à la toute-puissance l’exécutif ressort parmi les voix de l’opposition : les parlementaires ont la sensation d’être placés devant le « fait accompli ».[1]
L’article du Monde présente les témoignages de divers parlementaires, qui, toutes couleurs politiques confondues, dénoncent le manque de consultation et l’absence de débat dans la gestion de la crise. L’exécutif décide et le Parlement enregistre. Le rôle du Parlement doit alors retenir toute notre attention, et pour mieux l’étudier, nous allons nous attacher aux deux missions dévolues au Parlement par l’article 24 de la Constitution de la cinquième République.
L’article 24 de la Constitution dispose : « Le Parlement vote la loi ». L’article 38 de la Constitution permet au gouvernement, sur habilitation du Parlement de prendre par ordonnances des mesures qui relèvent normalement du domaine de la loi. Dès le mois d’avril 2020, Elina Lemaire décrivait, dans un article paru sur le blog Jus Politicum, un « abandon de la fonction législative au Gouvernement »[2]. Cet abandon peut s’expliquer par la nécessité de célérité et d’adaptabilité constante des mesures à prendre pour lutter contre l’épidémie, contrastant avec le temps allongé de la procédure législative. L’on pourrait craindre que, dans ce contexte d’urgence sanitaire, la tenue de débats parlementaires soit un frein à la bonne gestion de la crise.
Cependant, le président du Sénat, Gérard Larcher dénonce un recours massif à l’usage des ordonnances. Le président du Sénat s’indigne du nombre d’ordonnances adoptées par le gouvernement : 183 ordonnances en trois ans, ce nombre élevé l’incitant à rester attentif à ce que « la pandémie ne gomme pas la démocratie ».[3] Il est en effet permis de se montrer sceptique face à un « pareil dessaisissement (à la fois quantitatif et qualitatif) du Parlement »[4]. Dans son vote de la loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire, le Sénat a d’ailleurs réduit le nombre d’habilitations du gouvernement à légiférer de 70 à 30, refusant, selon les mots du sénateur de la Manche et rapporteur du texte, Philippe Bas de signer « un chèque en blanc sur les ordonnances »[5]
Une autre mission du Parlement s’avère plus que nécessaire en ces temps de crise : le contrôle parlementaire sur le gouvernement requis par l’article 24 de la Constitution. Outre les procédures de mise en œuvre de la responsabilité gouvernementale prévues à l’article 49 de la Constitution, les chambres disposent de deux instruments principaux : les questions au gouvernement et la création de commissions parlementaires.
À ce titre une mission d’information sur « la gestion et les conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-COVID19 » a été créée par la conférence des présidents en mars 2020. En juin 2020 la mission d’information a vu ses prérogatives étendues à celle d’une commission d’enquête. Les plus sceptiques noterons toutefois que cette commission, en plus d’être présidée par M. Julien Borowczyk, membre de LREM, est composée en majorité de membres des partis LREM et du MoDem, en principe favorables à l’action du Gouvernement.
En outre, le Sénat a créé une commission d’enquête « pour l’évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion ».
Cette volonté de contrôle a été appuyée par les sénateurs lors du vote du projet de loi relatif à l’état d’urgence sanitaire. C’est dans cette optique que les sénateurs ont ramené la fin de l’état d’urgence au 31 janvier, contre le 16 février, date initialement prévue. Le Sénat veut aussi imposer au gouvernement de repasser par un vote devant le Parlement en cas de prolongement du confinement au-delà du 8 décembre. Les sénateurs sont sur ce point de contrôle du gouvernement en désaccord avec l’Assemblée, où l’exécutif détient la majorité.
Après l’échec de la commission mixte paritaire qui s’est tenue à la suite des modifications apportées par le Sénat, le sénateur François-Noël Buffet dénonce : « sur l’exercice du contrôle, que doit avoir le Parlement sur le gouvernement pendant cette période, nous avons un désaccord profond »[6].
Comme le mentionne l’article analysé, « Cette impression de ne guère peser dans le débat n’est pas nouvelle ». En effet, cette impression de soumission du Parlement à l’exécutif est tout à fait symptomatique de la cinquième République et elle n’en est que plus exacerbée par cet état d’exception. Le phénomène du fait majoritaire conduit à ce que les jeux soient faits avant les débats, le contrôle du gouvernement n’a lui-même guère de signification tant que le gouvernement a le soutien la majorité. Ce mode de fonctionnement de nos institutions est d’autant plus accentué aujourd’hui car l’exécutif prend appuie sur le contexte sanitaire pour justifier de la nécessite d’écarter le Parlement. À ce motif sanitaire, vient s’ajouter le contexte sécuritaire que le pays connait à la suite des attentats de ces derniers jours.
Si la nécessité de prendre des mesures afin de faire face à l’épidémie n’est pas remise en question ici, l’impact de ces mesures sur les droits et libertés des citoyens est considérable. On peut dès lors, s’inquiéter du fait qu’il n’y ait pas de véritables débats parlementaires au sujet de ces mesures, ni de contrôle régulier sur l’action du gouvernement. L’appel du gouvernement à l’unité nationale ne doit pas avoir pour conséquence de lisser les débats nécessaires dans une société démocratique, et encore plus dans le contexte actuel, le Parlement devrait pouvoir être en mesure d’exercer un véritable contrôle sur l’action du gouvernement.
Marie HUE
Étudiante au sein du Master 2 Droit public approfondi,
Université Paris II Panthéon-Assas
[1] DARAME (M.), Etat d’urgence sanitaire : le Parlement devant le fait accompli, Le Monde, 23 octobre 2020.
[2] LEMAIRE (E.), Le parlement face à la crise du Covid-19 (2/2), Blog Jus Politicum, 13 avril 2020.
[3] DARAME (M.), MESTREET (A.), ZAPPI (S.), L’impossible débat dans la gestion de la crise, Le Monde, 24 octobre 2020 (article commenté).
[4] LEMAIRE (E.), Le parlement face à la crise du Covid-19 (2/2), Blog Jus Politicum, 13 avril 2020.
[5]VIGNAL (F.), Philippe Bas accuse : « Le gouvernement veut des pouvoirs spéciaux pendant six mois », Public Sénat, 30 octobre 2020.
[6] VIGNAL (F.), précité